Juste un verre...

Quand je bois du vin, j’aime bien me rappeler des histoires et des anecdotes qui lui sont associés. J'aime aussi savoir quel vin ont bu de grandes personnes. Et ce qu'ils ont mangé? Ont-ils savouré ?

Napoléon, par exemple. Loin d’être un fin gourmet, il n’a pas été très sophistiqué. Voilà comment Victor Hugo dans « Les Misérables » décrit Napoléon au petit déjeuner :

« Le matin, sur la berge qui fait l'angle du chemin de Plancenoit, Napoléon avait mis pied à terre dans la boue, s'était fait apporter de la ferme de Rossomme une table de cuisine et une chaise de paysan, s'était assis, avec une botte de paille pour tapis, et avait déployé sur la table la carte du champ de bataille, en disant à Soult: Joli échiquier!(…) À huit heures, on avait apporté le déjeuner de l'empereur. Il y avait invité plusieurs généraux ».

Eh bien dans ces conditions, il est difficile d’avoir une grande cuisine. C’était pareil en Corse et plus tard dans une école militaire à Brienne et à Valence. Il a donc dû se contenter d'un repas par jour composé principalement du pain, du lait et des légumes. La viande a été extrêmement rare sur sa table.

Aux Tuileries il pouvait se permettre de manger des plats un peu plus raffinés. Pour le petit déjeuner il prenait des œufs. À midi il aimait manger une salade à base de pomme de terre, des lentilles ou des pois, parfois une laitue italien avec œufs durs. Il aimait aussi les haricots verts, mais le cuisinier qui voulait garder son emploi devait faire très attention aux « queues » car elles provoquaient chez Napoléon  une fureur débridée.

Il a mangé des soupes surtout des boulions et des soupes de légumes  mais en raison de ses maux de ventre constants il a souvent ordonné de lui faire « la soupe de la  reine » selon l’ordonnance de son médecin Jean Nicolas Corvisart, un mélange de sucre, des jaunes d'œufs et du lait. Il dévorait les repas en moins de quinze minutes. Il mangeait avec ses doigts dans le silence absolu des autres invités à table. Et les repas ont toujours été accompagné du même vin : du Chambertin. Son amour pour Gevrey-Chambertin a été connu par tout le monde.

C'était son vin préféré, le vin de tous les jours, le compagnon dans chaque campagne militaire même au milieu des plus terribles batailles. C'était le vin de l'Empereur. Quand il est parti pour Egypte il a pris tant bouteilles qu’il n’a pas pu en finir toutes. De retour en France, le vin a encore été bon ce qui a prouvé son statut d’un excellent vin de garde. Pendant le froid de la campagne de Russie en 1812 l'adjudant de Napoléon tenait une bouteille de ce vin pour être en mesure de le servir à l’Empereur à la bonne température. Napoléon était-il vraiment un vrai dégustateur ? Eh bien, non. Il était fidèle à ses vieilles et bonnes habitudes. Il n'a jamais oublié d'ajouter de l'eau dans son vin préféré. Pauvre Bertin, vigneron et père de l’appellation Chambertin (littéralement Champ-de-Bertin) devait tourner dans sa tombe plus d'une fois ...

En France on dit que boire un verre de vin Chambertin le jour de la bataille de Waterloo est juste maladroit. Les Anglais victorieux à Waterloo ont une version différente de cette anecdote sur le vin Chambertin. Ils prétendent que Napoléon en a bu trop la nuit avant la bataille et il était tellement ivre pendant le combat qu’il est tombé de son cheval. Est-ce vrai ? On sait que Napoléon aimait boire avec ses soldats avant la bataille ...

En outre Chambertin Napoléon ne méprisait pas d’un verre de champagne sans oublier bien sûr de le diluer avec de l'eau et alors il disait « ma limonade ». " L'Empereur avait un principe très pratique de la consommation du champagne: « Si vous gagnez la bataille, buvez du champagne et si vous la perdez buvez en plus ». Son penchant pour le vin pourrait même être la cause de sa mort. L’étude de son corps a révélé une grande quantité d'arsenic qui a été utilisé pour l'entretien des barils avec le vin livrés à Saint Hélène.

Si l'Empereur a ainsi traité son Chambertin, il a également contribué à la réputation mondiale de ce vin unique. Les gens de la Bourgogne sont-ils reconnaissants et ils disent que c’est le vin de l’Empereur ? Loin de cela ! Ce sont de gens très fiers de leur région et de leur vin. J'en ai parlé récemment à mon ami Roger qui vit à Paris mais il vient de Dijon et retourne dans son pays natal souvent. Je lui ai demandé quel est le meilleur vin de Bourgogne. Il m'a dit que il n’en a pas.

Chaque domaine de vin est un empire. Et il a raison.

J’adore les mercredis, ce sont mes journées libres au travail.

Hier, je suis donc allé dans la librairie du quartier. Pour moi c’est l’une des meilleures librairies de Paris. Toutes les semaines, il y a de nouveaux livres et de nouveaux albums dans la vitrine. Les vendeurs: une femme et un homme qui sont absolument adorables, accueillants, toujours prêts à aider. Mais il y en a encore une autre vendeuse. Cela dit, je ne l’ai pas vu dernièrement. Elle est formaliste, dispute à chaque fois celle qui est d’habitude. Cette librairie c’est un trésor; des livres, des collections, des magasins, des périodiques… Tout est bien rangé, sélectionné, exposé. Des livres changent toutes les semaines, parfois il en existe seulement trois ou quatre exemplaires de chaque. L’autre jour j’y suis vite entré. Trop vite. J’ai vu la biographie de Nina Simone. Je me suis dit que je retournais dans quelques jours pour l’acheter. Hier je suis allé et il en avait plu. Je savais bien! C’est toujours comme ça! Les deux vendeurs se sont mis à sa recherche.

- Oui, oui, il en a plu. Hier, j’ai vendu le dernier.

- Non, il en a. Je les ai tous déplacé.

J’ai été embarrassé d’autant plus que la queue derrière moi était de plus en plus grande.

- Il sera pour demain après-midi.

Bon, quel soulagement. Il me reste un peu d’espoir, tout de même.

Je suis allé dans un café qui se trouve juste à côté de la libraire. En fait, je ne l’aime pas beaucoup. J’y attends toujours une éternité pour passer une commande. Mais bon, tant pis. Il pleuvait des cordes. Dans ce café il y a avait que des adolescents. Ils buvaient deux cocas à huit. Et ils fumaient en regardant leurs IPhones. Cela m’a énervé. J’ai commandé un verre de Chablis. J’ai bu le premier gorgé et je me suis toute de suite plongé dans mes rêves.

Une petite ville médiévale de Chablis a donné son nom à l'un des plus éminents vins blancs sec de France. D’après moi c'est un symbole de vin excellent. J’ai une vraie faiblesse pour ce vin et pour sa région.

Chablis est situé dans le nord de la Bourgogne dans le département de l'Yonne. Ce département est également appelé la Porte d'Or de Bourgogne. Le nom vient de raisins, qui sont unes des  plus brillantes et lumineuses. À Chablis il fait froid et le climat est continental avec les gelées printanières fréquentes ce qui rend les producteurs fous.

Bien que Chardonnay soit une variété résistante aux basses températures, en avril-mai, quand la température tombe en dessous de zéro, les alentours du village de Chablis deviennent très nerveux. Tout le monde chauffe les vignes ou pulvérisent un brouillard d'eau, formant une couche de glace qui protège en même temps les jeunes pousses.

Il y a quatre appellations de Chablis: Petit Chablis, Chablis, Chablis Premier Cru et Chablis Grand Cru.

L'unicité de saveur de Chablis est liée à son emplacement dans un bassin de roche. Les vignes poussent sur des sols calcaires si riches en fossiles marins. C'est pourquoi le Chablis français est largement connu de sa minéralité. Personnellement je n'aime pas l’omniprésent goût de caramel dans le Chablis du Chili ou de l'Australie. Pour moi un vrai Chablis doit être légèrement acide. Les Chablis vieillissent bien, et leur plus jeune frère, Petit Chablis est un vin de tous les jours, sans aucune prétention.

Le bon Chablis doit avoir une température adéquate. La température à servir de Chablis et Petit Chablis est de 8-10 ° C, de Premier Cru est 12 ° C et de Grand Cru : 12-14 ° C.

J’entends souvent que les vins de Chablis sont forts. Cela peut décourager. Mais moi, j’attends un peu, je prends mon temps. Je sens l'odeur de citron et de pomme verte.

Apparemment, ceux qui boivent du vin dans les bars, s’en fichent des reflets verts de Chablis. Néanmoins sa couleur séduit même dans le troquet perdu.

Ce vin se boit lentement. Ce vin est le vin de retour.

Selon Robert Louis Stevenson le vin est une poésie dans la bouteille.

Décidement, Chablis est une poésie de la Bourgogne. 

Samedi dernier, dans l’après-midi, j’ai décidé d’aller au cinéma. Mais avant je me suis longtemps promené sans but précis dans le quartier de l’Odéon. J’ai une véritable faiblesse pour ce coin. Les boutiques sur le boulevard Saint-Germain, les cafés, la rue Saint-André-des-Arts et les touristes. Certes, ce quartier est différent de l’époque de Maupassant quand les Parisiennes filaient dans les rues et il y avait de la décadence dans l’air. Mais les trottoirs ont gardé l’ambiance de vieux Paris.

J’ai acheté mon ticket de cinéma, j’avais encore deux heures avant le début de la séance. La jeune fille au guichet m’a bien dit de venir à l’heure de la séance. Il faisait frais, je me suis assis dans une brasserie. J’ai commandé un verre de Muscadet.

Je dois avouer quelque chose. J’ai une faiblesse incroyable pour le fois gras. Il y a de moments quand l’envie d’en manger, juste un peu est plus fort que tout. C’était le cas samedi dernier. J’ai été embarrassé. Je me suis dit que je prendrais une salade de chèvre chaud, par exemple. Une jeune femme, assise quelques tables plus loin en mangeait. Le fromage de chèvre sur des petits toasts avait l’air sympathique. Mais je ne voulais rien de sympathique. Je voulais de l’excellent ! J’ai hésité.

-Non, je ne le ferais pas - j’ai pensé.

Le serveur, tout mince est passé. Et plus il est repassé.

-Ou peut-être je prendrais une omelette ? - je me suis dit. Le serveur a apparu tout droit devant moi. Mon verre a été vide.

-Vous voulez autre chose, Monsieur ?

-Oui, je prendrai, s’il vous plaît, un bloc de fois gras et un autre verre de Muscadet.

-Parfait.

Oui, je l’ai pensé aussi. Parfait.

-Je savourais longtemps ces moments - je me suis promis. Comme quand j’étais étudiant en Lettres Modernes et je passais des heures des cafés. Non, ce n’est même pas vrai. J’ai été trop timide pour m’asseoir tout seul dans un café. À présent c’est terminé.

J’ai été là-bas, tranquille, un inconnu parmi des touristes.

Mon Muscadet-Sèvre-et-Maine sur Lie était sec, mais très léger. J’ai toujours aimé cette fraîcheur dans Muscadet. Mon grand-père, grand amateur des Muscadets disait que ce vin a l’âme froide. Sûrement à cause des matinées bien fraîches dans la vallée de la Loire.

Plus jeune, quand je venais chez mon grand-père qui habitait à Chevigny Saint-Saveur, nous aimions s’asseoir tout les deux dans la véranda et il me racontait les histoires de sa jeunesse. Il buvait un ou deux verres de vin, souvent du Muscadet. Il disait que chacun des vins blancs possède une couleur différente, les nuances différentes. Le Muscadet a une couleur d'or et une texture nacrée. En outre, il possède un caractère unique. Cela est dû au processus de production et de vieillissement. Les vins de Muscadet sont laissés dans un tonneau dont le fond est recouvert d'un dépôt de cellules mortes de levure. D’où vient également sa légère effervescence, un peu « perlante ». Puis le vin est fermenté pendant 4 à 5 mois d'hiver. C'est alors qu’il acquiert et améliore sa saveur. Enfin, il est mis en bouteille. Il n’est jamais versé dans les autres tonneaux ce qui, à son tour améliore sa fragrance.

Mon grand-père savait tant de choses sur Muscadet. J’ai voulu l’impressionner et pour la visite suivante j’ai lu les notices dans un guide des vins. Le Muscadet-Sèvre-et-Maine sur Lie est la plus notable et la plus productive du vignoble du muscadet qui engendre un peu plus des deux-tiers de la production totale de muscadet.

Il est souvent charpenté et se caractérise par un arôme fruité et une sensation d'acidité due au gaz carbonique naturellement présent dans le vin.

La dénomination « sur lie » peut être ajoutée à l'appellation. Dans ce cas, les vins doivent avoir passé un seul hiver en fût ou en cuves et se trouver encore sur leurs lies de fermentation au moment de la mise en bouteille.

Les vins du Muscadet sont fruités. C'est la saveur d'agrumes est l'un des vins qui correspondent à autant de fruits de mer. Malgré le fait qu'ils sont légers et subtils j’ai bien senti un fort arome de musc, d'anis et d'épices.

Le vin est également très long. Après le premier gorgé j’ai attendu quelques minutes et j’ai encore senti son goût. Muscadet est comme un bouquet de fleurs. Je me rappelle quand je l'ai bu pour la première fois, j'ai été frappé par l'odeur. Mon grand-père a complimenté mon nez en disant que ce sont surtout des pivoines. Il disant aussi que le Muscadet va parfaitement avec les fruits de mer. Sûrement. Mais je suis allergique aux huîtres.

Heureusement, ce n’est pas le cas avec Muscadet-Sèvre-et-Maine sur Lie. J’ai presque oublié que j’allais au cinéma. Avec toutes ces émotions je n’ai pas profité de faire prolonger l’attente devant la séance. Le mystère, les envies, tout peut arriver.

Une prochaine fois, certainement !

Hier, au travail, un de mes collègues m’a fait une peine. Il préparait des photos de groupe pour un dossier. J’ai voulu l'aider. J’ai été joyeux car cela faisait longtemps que j’ai souhaité m’en occuper. Et c’était lui qui a commencé à le faire.

Très bien. Je me suis mis à côté, j’ai amené des cadres pour les photos… Super!

Et il m’a disputé !... Pour tout. Pour rien. Il a été très désagréable. Odieux. Je suis sorti de son bureau sans dire un mot. Non. Je lui ai dit qu’il était injuste et que je ne comprenais pas. Il a juste grogné:

-Fiche-moi la paix…

Il m'a blessé.

Au travail je suis toujours un peu de côté. J’aime bien mes tâches. Je suis correcteur et je réfléchis  pour moi-même. Je ne partage pas mes pensées. Je crois que les gens m’aiment bien. La secrétaire du patron, Alice, dit que je semble d’être d’une autre époque. Parfois elle se confie à moi. Je suis embarrassé mais je ne dis rien. Pendant une pause déjeuner elle s’assoit à côté de moi et commence :

-Je ne voudrais pas déranger mais…

Elle est gentille mais j’aime tant déjeuner tout seul. Je prends mon temps à choisir l’entrée, le plat et le dessert. Notre cantine ce n’est pas la Coupole mais c’est correct, à mon avis. Il faut savoir trouver ses petits plaisirs.

Vers 18 heures 30 j’ai rangé mon bureau et je suis sorti.

Je n’ai pas eu envie de rentrer tout suite à la maison. Il faisait beau. Je suis allé vers Rambuteau. Je me suis laissé perdre dans de petites ruelles. J’ai regardé les vitrines des galeries d’art.

–Il faut que j’y vienne-je me suis dit.

Soudain j’ai eu faim.

Mince, j’ai oublié de faire des courses. D’habitudes c’était Annie qui le faisait… Je suis rentré dans un bistro. Il avait l’air convivial. Je ne me souviens plus ce que j’ai mangé mais je me souviens du vin. C’était Muscat de Lunel. J’ai été assis au bar. Le barman a remarqué que je bois mon vin à petits gorgés, très petits. Il a été bavard.

-Vous connaissez Muscat de Lunel ?

-Oui, enfin, de nom.

-Eh ben, mon cher Monsieur, Muscat de Lunel a longtemps été reconnu comme un vin exceptionnel, surtout pour sa qualité et son goût. Ce vin a déjà été cité par Louis XIII, le prince de Condé et Mazarin. Tout comme par metteur en scène, Jean-Louis Feuillade, qui après tout est né à Lunel, Thomas Jefferson, Liszt et Schumann. Personne ne pouvait résister à cette douceur délicate.

L'appellation Muscat de Lunel se trouve à quelques kilomètres au nord de Montpellier, dans le domaine de 320 hectares. Le vin est né dans les petites villes Lunel, Lunel-Viel, Saturargues et Verargues.

J’ai voulu participer un peu à ce monologue, intéressant tout de même. J'ai dit:

-Oui, Languedoc jouit d'un climat méditerranéen, chaud et sec en été. La proximité de la mer permet aux raisins de résister à la chaleur et donne juste le temps de mûrir dans de bonnes conditions de l'été.

Le barman a répondu tout de suite :

-Exactement ! On dit que les vins des vins du Languedoc sont simples, à boire tous les jours. Cependant, ne pensez mon petit que ce sont simplement des "vin de table". Avec tout le respect, Monsieur, ce ne sont pas de vins ordinaires !

Je me suis souvenu de la conversation de mon père avec les fournisseurs du Languedoc. À l’époque mon père avait un petit bistro et gosse, je traînais dans les parages. L'un des fournisseurs, Henri m'a expliqué pourquoi depuis les temps de Napoléon les vins de Languedoc ont une opinion d’être simples et pas chers. À la fin des années 60 et 70 du XXème siècle, suite aux changements liés à la libéralisation du commerce entre les pays de l'ex-CEE, le marché français s’est ouvert aux vins de bon marché en provenance de l'Italie et de l’Espagne. Il s'est avéré que la politique de vente liée aux vins d’assez faible qualité pourrait affaiblir des conditions économiques des vins de Languedoc. C'est ainsi qu’on a crée le concept d'une nouvelle catégorie, distinctive des vins de la région, qui est aujourd'hui connue comme "vins de pays". La nouvelle norme a obligé les producteurs à réduire la production de vins, d'identifier les domaines de la culture et la plantation de variétés adaptées. L'introduction de cette nouvelle catégorie de vin a contribué à l'amélioration de la qualité du vin et de la sélection des cépages locales.

Il me semble que le barman a été un peu étonné de mon petit discours. Cela dit il a été impressionné. Moi aussi d’ailleurs. Je ne savais pas que je pouvais parler si longtemps à un inconnu. Il m’a servi un autre verre.

Oui, c’était une véritable douceur. Une fois, lors d'un dîner chez des amis, le Muscat de Lunel a été servi avec le foie gras. J'ai remarqué que la bouteille était déjà ouverte. Mon ami m'a expliqué qu'il aimait quand le Muscat prenait le souffle. Je crois qu’à présent j’ouvrirai la bouteille une heure avant de le servir. Ah oui, je me souviens déjà. J’ai mangé une planche de fromage. Cela allait parfaitement.

Muscat de Lunel est tellement doux comme un sirop mais adouci par un léger arôme de raisins frais et de fleurs. Je pensais à l’acacia, la rose sauvage et le jasmin. Je l’ai bu et j’ai tout de suite vu mes vacances à la campagne quand j'étais gamin et je sentais des fleurs. Oui, ma mère disait que j’ai été un garçon bizarre.

J'aime dans le Muscat de Lunel cette note nostalgique.

J’ai presque oublié mon collègue et sa colère sans raison. Je crois que je ne lui adresserai plus la parole. C’est décidé !

Et encore une chose. Muscat de Lunel était l'un des trois vins que Pauline Borghese a envoyé à son frère, Napoléon Bonaparte à l'île de Sainte-Hélène. Est-ce que cela a adouci son exil? J’en suis sûr !

Je devrais commencer.

Mais comment? Je crois que je n’aime pas parler de moi-même. Je ne suis pas comme mon patron, Gérard. Il raconte tout. Je déteste les pauses de café-cigarette. Il vient vers nous, s’approche à petit pas, se met de côté et lance mine de rien :

-       hier, ma femme avait un gastro.

Personne ne sait quoi répondre. Mes collègues évitent de se regarder. L’un cherche quelque chose dans ses poches, l’autre vérifie son portable. Et moi je souris et je dis :

-       ah bon?

Je crois que mon patron ne m’aime pas bien. Et je m’en fiche. Annie disait que je m’en fiche de tout. Non, c’est juste que j’aie une grande distance pour tout ce qui m’entoure. Mais Annie ne dira plus rien. Non, non. Je ne l’ai pas tuée. Elle est partie. Maintenant je dois tout ranger dans la maison. Comme j’aime. Classer les livres selon les auteurs, les disques selon l’ordre alphabétique, les boites de légumes selon les dates… Quelle joie.

Et la cave. Hier j’y suis descendu et j’ai été abattu par le désordre. Mais soudain j’ai remarqué une bouteille de Sauternes dans un des cartons. Surement un cadeau de mes parents. Je l’ai amené à la maison. Je ne savais pas si je devais la boire. Tout seul? Il y avait juste un morceau de roquefort dans le frigo. J’ai ouvert la bouteille et je me suis plongé dans le temps. Je savais que j’avais un livre sur le vin. Il était quelque part, entassé avec des albums. J’ai trouvé la notice sur Sauternes.

Sa naissance implique deux légendes. La première commence en 1836. Un certain Focke de Bordeaux, attendait la fin de longues pluies d'automne pour commencer la récolte. Les pluies avaient cessé, le soleil brillait, les raisins ont séché et ils ont commencé à pourrir. Il les a ramassé en dépit de tout et fait le vin. Il était doux à la perfection. Monsieur Focke en était ravi. La seconde histoire est également associée à une pure coïncidence. En 1847, le marquis de Lur-Saluces est parti chasser le loup en Russie. Son retour retardait, mais ses employeurs étaient en attente pour lui avec la récolte. Telle était sa demande. Le marquis a enfin rentré mais les raisons ont été attaquées par la pourriture. Mais comme il s'est avéré, les raisins ont donné du vin exceptionnellement doux et fin.

 Je me suis endormi un peu et j’ai songé à ces histoires. Mon Sauternes a vieilli de nombreuses années dans la bouteille oubliée dans la cave. J’ai été ravi de découvrir la palette des couleurs vraiment impressionnantes. D’abord la couleur d’or pâle et plus tard un peu ambrée.

La première gorgée offre une expérience inoubliable. De l’abricot, de la pêche, des fruits tropicaux.

J'attendais un peu, en profitant de la couleur, et j’ai senti une pâte d'amande, le caramel et la vanille. Et le miel? Oui, carrément.

Philippe Faure-Brac, le meilleur sommelier du monde dit que le Sauternes est synonyme de plus grand plaisir et le symbole d'une transition douce vers une autre existence.

Beaucoup de gens avouent qu'ils aimeraient boire sur leur lit de mort. Jusque-là, je suis à la recherche de temps perdu. J’ai beaucoup à rattraper.